"74% des puériculteurs hospitaliers considèrent que leurs compétences ne sont pas reconnues"
Publié le 12/06/18 - HOSPIMEDIA
L'Association nationale des puériculteurs diplômés et des étudiants organise ses journées d'études jusqu'au 15 juin. Universitarisation, réingénierie, pratique avancée... L'actualité de la profession, c'est aussi une qualité de vie au travail en berne et un grand besoin de reconnaissance. Explications avec le président de l'ANPDE, Charles Eury.
Hospimedia : "Les journées d'études de l'ANPDE se tiennent jusqu'au 15 juin à La Rochelle (Charente-Maritime), vous y présenterez le résultat d'une enquête menée en avril sur les aspirations des puériculteurs (lire notre article), pourquoi une telle enquête ?
Charles Eury : Aujourd'hui au niveau de la profession et de la spécialité de puériculture, le Gouvernement a vraiment changé de paradigme, avec une forte volonté d'axer les choses sur la prévention. On le voit notamment dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale de santé avec des éléments très importants tels que la structuration de la prise en charge de l'enfant et, plus largement, la création d'un réel parcours de santé de l'enfant. Les puériculteurs sont au cœur de ces actions et sont de réels acteurs de santé publique. C'est une profession transversale, sur l'hospitalier et sur l'extra-hospitalier, elle a donc un rôle à jouer. Nous voulions voir sur le terrain comment ces professionnels vivent leur travail et la prise en compte de leurs compétences.
"65% des puériculteurs considèrent que leur qualité de vie au travail s'est dégradée ces dernières années."
H. : Pouvez-vous nous donner quelques pistes sur les résultats de cette étude ?
C. E. : L'un des premiers éléments, sur plus de 3 000 répondants, est que 65% des puériculteurs considèrent que leur qualité de vie au travail s'est dégradée ces dernières années. Une situation encore plus inquiétante chez les hospitaliers. Ils sont 74% à considérer que leurs compétences ne sont pas reconnues et valorisées, aussi bien par le corps médical que les directions, et que leur qualité de vie au travail s'est dégradée. C'est dans ce secteur que les chiffres sont les plus élevés.
Repère
La France compte 20 699 puériculteurs selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) datée de 2016. Un peu moins de 60% d'entre eux sont des hospitaliers.
H. : Vous vous attendiez à de tels résultats ?
C. E. : Oui, on voit bien aujourd'hui que les conditions de travail à l'hôpital sont difficiles et se dégradent pour toutes les professions. Par contre, 74% des puériculteurs qui ne se sentent pas reconnus, cela pose question. On sait bien que la reconnaissance est un facteur clé de la qualité de vie au travail. Et revaloriser les compétences, cela ne passe pas que par la voie budgétaire. Cela peut être amélioré directement sur le terrain en utilisant les compétences de leur formation. C'est donc pour nous un résultat qui pose question.
H. : Revaloriser les compétences des puériculteurs, c'est justement l'un des enjeux de la réingénierie du diplôme, où en est-on aujourd'hui ?
C.E. : Nous avons eu ce 11 juin la dernière réunion avec la DGOS où nous avons quasiment finalisé l'ensemble des référentiels et principalement le référentiel de formation. Notre priorité, c'est vraiment la finalisation de la réingenierie dans le courant de ce semestre 2018, pour pouvoir ensuite mettre en œuvre le nouveau référentiel à la rentrée 2019. Nous, ce que nous souhaitons, c'est de pouvoir avancer rapidement pour finaliser les textes. Le nouvel arrêté de formation ouvrira de nouvelles possibilités qui vont de pair avec l'universitarisation : à savoir la mise en place d'une formation en alternance, une formation professionnelle, plus de démocratie étudiantes, avec plus d'investissement des étudiants dans l'organisation de leur formation... Ce sont des propositions portées par l'ANDPE. Nous sommes donc pour l'instant dans l'attente d'un retour pour pouvoir finaliser ces éléments si possible en concertation avec l'ensemble des acteurs, y compris l'enseignement supérieur.
"Avec l'ANPDE, nous souhaitons une réelle collaboration avec l'université, un travail en coopération et pas juste avoir des enseignants chercheurs qui viennent dispenser quelques cours par rapport à un référentiel qu'on aurait établi de notre côté."
H. : Cette réingénierie va poser aussi la question de l'avancée du processus d'universitarisation...
C. E. : Vont en effet se poser ensuite les questions de l'intégration à l'université, de la prise en charge financière par les régions et toutes ces questions concrètes à traiter. Avec l'ANPDE, nous souhaitons une réelle collaboration avec l'université, un travail en coopération et pas juste le fait d'avoir des enseignants chercheurs qui viennent dispenser quelques cours par rapport à un référentiel qu'on aurait établi de notre côté. Nous souhaitons vraiment que tout cela se fasse ensemble.
H. : Parmi toutes ces réformes en cours, quelles sont les priorités portées par votre association ?
C. E. : La priorité pour l'ANPDE ? La démocratie étudiante et le fait d'impliquer davantage les étudiants dans leur formation. Le fait de passer d'une année de formation à deux années universitaires, cela laisse plus de temps pour s'intégrer vraiment dans une formation et dans un corps professionnel. Et donc nous aimerions les aider à vraiment intervenir sur le déroulé de leur formation et sur les modalités, cela me paraît important. Il y a aussi la question de l'enseignement et des personnes qui vont porter cet enseignement sur le terrain, avec les nouvelles modalités que cela peut impliquer. L'important est de conserver la part du terrain et des professionnels, avec des enseignants qui seront, par exemple, les enseignants actuels qui ont une expérience de terrain comme puériculteur et, je le répète, de la mixité avec les universitaires.
"Le puériculteur est un atout pour le système de santé et contre les déserts médicaux."
H. : Lors des journées d'études du Comité d'entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), certains représentants de la formation se sont montrés frileux quant à la coopération avec les universitaires (lire notre article), la mixité est-elle compliquée à mettre en place ?
C. E. : Non je ne pense pas que ce soit compliqué, je pense qu'il y a des bonnes volontés des deux côtés. Mais si l'on veut que tout se passe bien, il doit y avoir des temps de réflexion communs pour poser les choses, discuter en profondeur. Et pour le moment nous n'avons pas eu l'occasion d'aborder tous ensemble les modalités concrètes. Je pense que si nous réussissons à avoir ces moments pour en parler et les réunions nécessaires, cela pourra se faire correctement.
H. : Au-delà de ces réformes qui visent à revaloriser leurs compétences, dans le système de santé de demain, quelle est la place des puériculteurs ?
C. E. : Aujourd'hui, avec les enjeux de santé publique que l'on rencontre, ce serait incompréhensible de ne pas mobiliser les compétences des puériculteurs sur le terrain. Le puériculteur est un échelon intermédiaire entre l'infirmier, qui acquiert peu voire pas de compétences en pédiatrie, et le médecin généraliste, voire le pédiatre. Le puériculteur a vraiment une formation spécifique chez les enfants. Il est une compétence à mobiliser pour avoir un système de santé plus fluide. La structuration du parcours de santé de l'enfant n'existe quasiment pas aujourd'hui. Il y a déjà au niveau territorial de fortes disparités mais en plus le parcours n'est toujours pas coordonné. Plus que de défendre la spécialité, nous demandons d'ailleurs plus largement des formations spécifiques et adaptées pour s'occuper des enfants.
"L'idée que nous portons : aller plus loin dans la compétence infirmière en valorisant celles des puériculteurs. Nous allons proposer un livre blanc de l'ANPDE qui contiendra des propositions très concrètes."
H. : Ils ont donc un rôle à jouer dans le plan d'égal accès aux soins ?
C.E. : Bien sûr ! Et pas seulement à l'hôpital. Valoriser un exercice libéral pour les puériculteurs, c'est aussi rentrer dans plus d'efficience pour le système de santé et reconnaître la spécificité des soins à l'enfant et de son parcours. Ce sont des propositions que nous avons portées dans le cadre de la concertation sur le plan d'accès aux soins. La stratégie nationale de santé est parue mais aussi le plan priorité prévention, qui a été officialisé et dans lequel on parle de mettre en place un parcours de santé pour les 0-6 ans ainsi qu'une consultation médicale pour les moins de 6 ans. C'est évidemment, ce que l'on porte. Faire tout cela sans mobiliser les puériculteurs ne me paraîtrait pas très cohérent. Le puériculteur est un atout pour le système de santé et contre les déserts médicaux.
H. : Vous portez aussi des propositions sur l'exclusivité des actes...
C. E. : L'idée que nous portons : aller plus loin dans la compétence infirmière en valorisant celle des puériculteurs. Nous allons proposer un livre blanc de l'ANPDE qui contiendra des propositions très concrètes. Sur les actes exclusifs mais pas seulement. L'ambition est plus largement de faire évoluer l'exercice professionnel et de proposer une offre de soins de qualité pour l'enfant. L'an dernier, en étant présente à nos journées — l'un de ses premiers déplacements —, Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, a rappelé l'attention portée à la santé de l'enfant. Nous lui avions alors déjà rédigé des propositions. Nous allons donc en présenter de nouvelles dans une optique de santé publique. On sent la mobilisation du Gouvernement sur ces questions. Maintenant, il faut que cela sorte en mobilisant les compétences sur le terrain. Quelles seront les modalités des annonces faites ? Nous sommes confiants mais, dans le concret, il faudra que cela se fasse avec l'ensemble des professionnels."
Pratique avancée et spécialités infirmières
Cécile Courrèges, directrice générale de l'offre de soins (DGOS), a indiqué que la possibilité de pratique avancée pour les spécialités infirmières interviendrait dans un second temps (lire notre interview). "Nous aurions évidemment préféré que ça se fasse plus vite", reconnaît Charles Eury. "Mais cela va finir par se mettre en place. Sur la question de la pratique avancée, nous pensons qu'il doit y avoir nécessairement une articulation avec les spécialités, ce n'est pas cohérent qu'elles soient totalement exclues. Nous aimerions aussi pouvoir envisager la poursuite du cursus. Certains puériculteurs pourraient aller plus loin dans leur activité, au sein de leur secteur professionnel, avec de la pratique avancée."
Propos recueillis par Clémence Nayrac