Paris le 02 novembre 2022
LETTRE OUVERTE DES PUÉRICULTRICES
Monsieur le Ministre de la Santé et de la Prévention,
Monsieur François BRAUN,
Il aura fallu que l’hôpital traverse une énième crise, il aura fallu que les pédiatres, 5000 pédiatres, s’indignent, alertent et rendent publiques leurs inquiétudes face à un système de santé qui fait courir à nos enfants malades, aux plus vulnérables d’entre nous, des risques inconsidérés. Il aura fallu que nos médias, cette fois, se saisissent de ce message et s’en fassent le relais auprès de chacun de nos concitoyens. Il aura fallu que chaque français soit le témoin, par la radio, la télévision, les journaux ou même les réseaux sociaux de la gravité de ce que subissent ces enfants, de leur souffrance et de celle de toute leur famille, que chacun d’entre nous réalise « ce bébé pourrait être le mien ».
Aujourd’hui, enfin, le ministère de la santé annonce des premières mesures. Parmi elles, aujourd’hui, enfin, l’octroi de la prime de soins critiques aux infirmières puéricultrices travaillant dans ces services, levant ainsi une injustice signalée depuis la mise en place de cette prime.
L’ANPDE se réjouit de ces annonces, qu’elle salue au nom du corps professionnel des puéricultrices qu’elle représente et défend depuis plus de 70 ans.
Toutefois, Monsieur le Ministre, l’ANPDE reste mobilisée et attentive à la suite, dans l’intérêt de l’enfant et de sa famille. En effet, c’est tout le système de santé pédiatrique qui est à revoir et, en premier lieu, la place des infirmières puéricultrices doit être vraiment pensée.
Les infirmières puéricultrices sont, depuis la réforme de la formation infirmière en 2008, les seules professionnelles de santé paramédicales formées spécifiquement à la prise en soin de l’enfant. Or un enfant n’est pas un adulte en miniature mais bien un adulte en devenir. C’est une prise en charge globale en santé dont il a besoin, au-delà du traitement d’une pathologie ou de la réponse ponctuelle à un besoin identifié.
“L’enfant doit bénéficier de la sécurité sociale, il doit pouvoir grandir et se développer d’une façon saine ; à cette fin, une aide et une protection spéciales doivent lui être assurées ainsi qu’à sa mère, notamment des soins prénatals et postnatals adéquats. L’enfant a droit à une alimentation, à un logement, à des loisirs et à des soins médicaux adéquats.” (Déclaration des Droits de l’Enfant - 20 novembre 1959 - principe 4).
Depuis 1945, les puéricultrices sont spécifiquement formées à cette prise en soins globale de l’enfant, dans son environnement, pour lui permettre de devenir un adulte épanoui, autonome et en bonne santé.
La dernière réforme de nos études date de 1983. Depuis 2009, au gré des élections et des nominations successives, et rythmées, les différents gouvernements, les différents ministres de la santé, ont fait travailler les puéricultrices à la réingénierie de leur formation. L’ANPDE s’est lancée à corps perdu dans ces travaux.
Que de promesses non tenues, que d’espoirs déçus.
Pourtant, les puéricultrices ont tenu bon et gardent le cap, dans l’intérêt supérieur, toujours, de l’enfant et de sa famille.
Nous sommes aujourd’hui la dernière spécialité infirmière non réformée. La seule non inscrite dans un double cursus hospitalo-universitaire de niveau master. La seule pourtant, à pouvoir prendre en soins tous les enfants dans leur environnement de manière exhaustive et optimale.
Les puéricultrices, sont partout où il y a des enfants : à l’hôpital d’abord, mais également au plus près des enfants et de leurs parents, dans les établissements d’accueil de jeunes enfants, les PMI où elles sont souvent le premier, voire le seul professionnel de santé à visiter les nouveau-nés après leur sortie de maternité mais aussi auprès des assistants maternels et familiaux qu’elles agréent, accompagnent et contrôlent. Elles sont aussi dans les établissements et services de protection de l’enfance, garantes de la qualité de l’accueil et de l’accompagnement. Elles sont également dans les instituts de formation, les écoles, Elles sont enfin à l’Éducation Nationale, pour laquelle elles n’existent pas vraiment puisqu’elles y sont recrutées comme des infirmières, ce qui revient à nier la plus-value de la spécialité. Les puéricultrices sont aujourd’hui, de plus en plus souvent, installées sous le statut de professionnel indépendant. Indépendant et pas libéral, Monsieur le Ministre, car aujourd’hui il n’existe pas de nomenclature spécifique pour cette profession. Elles ne peuvent pas s’installer en tant que puéricultrices libérales et vivre de leur travail, pourtant essentiel.
Les puéricultrices soignent, accompagnent et exécutent les prescriptions médicales, mais avant tout cela, les puéricultrices agissent en prévention primaire, auprès des enfants de tous âges et de leur famille. Cette prévention est essentielle, sans doute plus efficace que toutes les campagnes d’affichage des ARS, par exemple pour éviter le recours injustifié aux soins urgents.
Aujourd’hui, donc, Monsieur le Ministre, les puéricultrices attendent des mesures très concrètes pour la profession, dans l’intérêt des enfants et de leur famille, mais aussi de l’ensemble de notre système de santé :
● La réingénierie de la formation et sa reconnaissance au grade master, assortie d’une possibilité de validation des acquis de l’expérience pour les professionnelles, sages-femmes et infirmières, justifiant d’une expérience professionnelle significative auprès d’enfants ;
● Une nomenclature spécifique en lien avec les compétences propres de la profession, afin d’une part de permettre l’exercice libéral et d’autre part de mettre fin à la marchandisation de l’accompagnement et du soutien à la parentalité par des professionnels non qualifiés, qui se développe actuellement de manière exponentielle ;
● L’inscription, dans le Code de la Santé Publique et le Code de l’Action Sociale et des Familles, d’un quota de puéricultrices dans tous les services et toutes les structures accueillant des enfants, quel que soit l’âge de ceux-ci, afin de garantir une réponse adaptée à leurs besoins fondamentaux. Le Défenseur des Droits souligne, dans son rapport Droits de l’Enfant en 2017, le besoin “d’encourager le développement de modules de formation aux urgences pédiatriques et d’assurer la présence dans les services d’un nombre suffisants de soignants spécifiquement formés à la prise en charge des enfants, notamment des puériculteurs et puéricultrices et des auxiliaires de puériculture.”
● L’obligation, pour les structures et les services accueillant des enfants, de faciliter l’accès à la formation professionnelle des infirmières et des sages-femmes qu’ils emploient, afin de leur permettre d’accéder au grade de puéricultrice et de répondre ainsi aux besoins spécifiques des enfants ;
● L’association des instances représentatives des puéricultrices aux travaux en cours et à venir portant sur la pédiatrie et sur l’enfance de manière plus générale.
Vos annonces d’aujourd’hui, Monsieur le Ministre, vont dans le bon sens, mais le chemin est encore long pour garantir à chaque enfant une égalité d’accès à des soins de qualité et une reconnaissance et une prise en compte de ses besoins spécifiques.
L’ANPDE espère sincèrement être enfin entendue et prise en compte.